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journal intime - Page 9

  • " Rechutes névrotiques."

    zzzzzvania-dior.jpgA mon rictus mauvais, il devient extrêmement clair que « Monsieur de… » Va se prendre un pavé dans la barbe.
    Motif de la punition : son refus de s’habiller sous prétexte que seuls « les ploucs se déguisent en pingouins pour diner. »


    Il gamine, l’adorable !
    Il donne dans le caprice vétilleux, la volte face candide.
    Il narquoise, aussi, l’effronté!


    Caustique, un tantinet provocant.


    « - Tu es beau comme un livre d’images, mon ange ! Tu rends hommage à Stendhal ou à Jeanne Mass, là ? » Nargue t'il en reluquant ma sublime panoplie rouge et noir.


    Je t'en foutrais des livres d’images !

    La Bible, version Gustave Doré, tu vas te la bouffer, histoire d'en voir de plus près les enluminures! Et si je me sens d'humeur je rajouterais au compte quelques coups de grolle dans le train en guise de bénédiction Urbi et Orbi !

    C’est donc en jeans informes et T-shirt délavé, barbe rude sur menton rond, cheveux coiffés aux doigts, que "Monsieur de...", sans pour autant se départir de son grand air Régence, dinera.


    De là à imaginer qu’il finirait à peu près nu …..

    J’ignore ce qui se passe dans sa caboche, mais il me fait des rechutes névrotiques en série ces jours ci, le "Cricri d’amour" !

    La faute au picolo, parait il !

    Moi je veux bien ; mais ce ne sont pas deux coupes de champ' en apéro, une quille de rouquin au cours d’un diner dont les seules entrées suffiraient à nourrir Al-Genaïna et ses faubourgs pour les trente années à venir, une lichette de « Parfait Amour » histoire de faire glisser les agapes ; qui me le rendent plus schlass qu’un équipage de matelots Polonais dans la plus pourrie des basses villes de la plus crapuleuse des garnisons portuaires.

    Ou alors il biberonne en cachette, je ne vois pas d’autre explication !


    Dans un premier temps, « Monsieur de … » a le Jaja folâtre.
    Primesautier.
    Un rien mutin, à peine trivial.


    Ca vous lèche la joue, ça vous bave dans le cou, ça vous papouille, ça vous gratouille l'entrecuisse, ça défait, d’un doigt malicieux, le nœud de cravate que vous avez mis trois heures à réussir, ça vous glisse des salaceries dans le creux de l’oreille en oubliant de baisser le ton de façon à ce que toute l’assistance puisse en profiter !
    Je vous jure, seuls les malheureux en coma dépassé au dernier étage de l’Hôpital Princesse Grace méconnaissent encore les brusques envies de sucette surprise que manifeste l’infâme entre le homard et la gelinotte.


    Vous croyez que ça embarrasserait la compagnie, vous ?


    Pensez donc !
    C’est au contraire la surenchère dans l’égrillard, l’escalade dans le graveleux, la grimpette dans le grivois.


    On naufrage dans le salé, le plébéien, le gras du bide !
    Quatre vingt chasseurs, ourdés au douze degrés, s’en payeraient des roseurs de premières communiantes.

    Dandy romantique en redingote sable, camélia crème à la boutonnière, l’œil un peu au loin comme s’il visualisait des féeries dans la moire des baies vitrées, le sublime cousin détaille avant la nuit ne pète en feux d'escarboucles, les quinze manières différentes de se faire plaisir avec un Fleshlight.

    (Commentaire de Chris à mon intention : « Je suis sur que tu en connais plus de quinze toi, salope ! »)



    Nue sous l’écume dorée d’une résille de métal et de soie, une grande statue d'Abyssinie que l'on pensait miséricordieusement muette avant qu'elle ne se mette à égrener des rosaires de conneries, se demande, sans même se marrer, si elle ne serait pas un peu lesbienne puisqu'accro à la jouissance clitoridienne, laquelle comme chacun sait enlève de l'importance aux hommes.

    (Etonnement du futur ex homme de ma vie : « Elles sont QUE clitoridiennes les lesbiennes ? »)

    Mais le pire vient d’une sorte de long glaïeul fanant, vraisemblablement dépucelé par Monsieur frère du Roi dans les jardins du Palais Royal, qui, sur l’air connu du « c-était-mieux-avant »,radote ses frasques sépia à la belle époque des bordels pour garçons chers au Baron de Charlus, des vespasiennes ou l'on draguait dans des vapeurs d'égout , du grand cirque travesti déroulant ses serpents de plumes irisées sur la scène d'« Arthur »,des tangos interlopes découpant leurs ombres chavirées contre les laques rouges de la « villa d’Este ».

    (Irritation de la barbaque givrée assise à mes cotés « Il va fermer son claque merde, « Jurassic Park » ! Il nous joue quoi là ? L’amour au temps des brontosaures ? »)



    Le reste des convives présente peu d’intérêt.


    Une bande de cancanières encore pire que moi, capables de raconter que j’ai tourné hétéro, d’aller colporter cette ignominie dans Paris, partout, comme ça, juste pour nuire !


    Elles jacassent entre elles, embrouillaminis de cocus, peines de fion et gigolos venus du Danube.


    Il ressort de leur babil que ça prostipute toujours pas mal le long de la Riviera, même si les ragazzi, farabutti et autres mascalzone Pasoliniens se sont vus détrôner par des Apollons Bulgares, des cuirassiers de Moravie, des hercules tartaro-mongols.


    Le nec plus ultra de la bogossitude cosaque.


    Un peu Michel Strogoff, un peu Prince Muichkine.
    Moitié Attila, moitié Folle de Chaillot.


    En matière d’Orientalisme de pacotille, je ne redoute nulle concurrence. Aussi deviens-je, une fois le sujet des singeries slaves lancé, l'arbitre révéré du débat.


    Que ces braves gens prennent la Volga pour le Danube, l’Oural pour les Balkans et Tatiana Boulanova pour Sylvie Vartan passe encore, mais qu’ils mélangent, dans un grand élan d’Orthodoxie les bordels de Riga, les fastes de l'Ermitage et les pèlerinages à Nijni Novgorod laisse songeur.


    Pourtant, c’est sans réel déplaisir que j’allume ma lanterne magique, que j’enrubanne d’images d’Epinal la pesanteur nantie de cette fin de festin.
    Samovars et Blini de la Maslenitsa, Balalaïkas et mazurkas, toques de loutres et troïkas, aubes cristallines et fleurs de givre, Raspoutine, Jivago, Katia Dolgorouki ; un dernier été à Tsarskoïe Selo, façades bleues, robes blanches à guipures ; le charnier d’Iekaterinbourg, du sang sur la neige, des loups dans les champs de pavots.

    Tout un amphigouri de symboles éculés, d’icones plastifiées ; une vaste bimbeloterie pour kermesse aux frileuses étoiles tels que depuis près de dix ans j’en imagine pour des touristes avides de clichés.

    Profession de foi, l’Evasion avec un « E » majuscule.


    Substitut, l’aventure avec un « a » qui s’accommode d’une minuscule.


    Toujours abuser du folklore, toujours laisser entendre à son auditoire ce qu’il a envie d’entendre.

    S’éloigner des rivages familiers mais pas trop. Rester dans la limite rassurante des eaux territoriales. Offrir l’océan Indien en bocal, les dômes du Kremlin sous cloche de verre, l’Afrique en réserves, Venise sous forme de Mariland culturel auquel ne manque que les pitreries des dauphins.


    Voilà pourquoi on trouve des piscines sur les plages.

    Et l’authenticité dans cette affaire ? A quoi bon, plus personne ne s’en souci de l’authenticité ! Le public ne désire être surpris que par ce qu’il attend !


    Bref je dégoise mon couplet policé en mode pilote automatique face à une assemblée conquise d’avance.


    C’est beau comme une chanson d’Hélène Segarra, paroles et musique.

    Du reste la vieillasse pamoise dans l’Astrakan, le Taffetas, l’Organdi, se rêve en impératrice écarlate, Marlène guerrière cravache comprise. Elle se souvient d’un Moujik d’opérette qui l’aimât, au siècle passé, dans les coulisses d’un cabaret Russe de la butte. Il avait des mains de batelier et les lèvres douces. Une bite énorme aussi sans doute, mais elle ne s’en rappelle plus. En revanche, elle n’a pas oublié l’odeur des fards et de la poudre de riz, les trainées de « Bronzor », ce fond de teint pour le corps, qu’il laissa sur sa peau, ni l’accent ensoleillé de l’imposteur lorsqu’oubliant de rouler les « R » il se révéla aussi Marseillais que la Bonne Mère.


    Elle en pleure d’attendrissement l’ancêtre ! On peut la comprendre ! Soixante seize carats. Son amour est mort, ses amis, son chien aussi et elle-même ne se sent pas très bien.

    Seules subsistent les étreintes tarifées, vénéneuses, potentiellement mortelles, qu'elle s'en va mendier auprès d'arsouilles à la gueule cassée et aux pieds nus, de louches milords la Violette et autres maraudeurs du clair de lune. Et inutile de ricaner les filles, vous y viendrez toutes !!!!!!


    Le « Cricri d’amour », ça lui bousille le système nerveux ce quart d’heure mélo. Aussi pour détendre l’ambiance , il ne trouve rien de mieux à faire que de pousser le volume de la sono à fond et d’ improviser un petit strip tease devant une cheminée ou il se serait roti les fesses si on y avait allumé un feu .


    Rien de bien méchant au demeurant, rayon Chippendales on a déjà vu moins balourd et plus bandant.

    Il faut dire que de la viande saoule s’empêtrant dans ses vêtements et s’emmêlant les cannes aussi Grand Siècle que soient ces dernières ; prête d’avantage à rire qu’à fantasmer.


    Et l’on s’étonnera ensuite que je ne sois pas tout à fait terrassé d’amour….


    En même temps j’imagine qu’il doit être salement paumé pour se livrer à toutes ces pitreries, lui d’ordinaire tellement réservé.


    Mais salement paumé pourquoi ? Je n’en ai pas la plus pauvre idée !
    On dira, comme en début de billet, que c’est la faute au picolo….


    Les réponses aux questions que je ne me pose pas me viendront plus tard dans la nuit, après une virée expresse dans une boite de Nice ou se déroulait une soirée déambulateurs et cartes vermeil, de la bouche même du petit frère de Chris, alors que ce dernier, affalé sur la banquette arrière baigne dans son vomis et un sommeil fiévreux.
    Hubert, vingt ans, des longs yeux affligés de lama, une virginité inattaquable pour cause de sexualité incertaine ; cet air navré de fin de sève que l’on trouvait naguères à certaines belles du Sud soignant leurs névroses de fleurs exsangues à coups de " Mint Julep ", dans la moiteur caraïbes du « vieux carré », pas la moitié d’un con pour autant .


    « - Il faudrait que vous parliez un peu, mon frère et toi.
    « - On ne fait que ça, parler. Parler de quoi d’ailleurs ?
    « - De la fin de votre histoire, par exemple !


    Immense silence, immense moment de solitude.


    Au dessus des collines, entre les bois noirs des citronniers, sur l'étain navré d'un coin de mer, la nuit rosit comme si elle avait quelque chose à se reprocher.


    La fin du monde est pour Demain, un petit garçon me l’a dit.


    Il n’y a plus qu’à s’asseoir et à attendre.

     

  • " Le premier matin du monde. "

    zzzzzzzzz-cricri-autheuil-0.jpgSi la marée m’avait emporté, sans doute me serais je assoupi, apaisé, assouvi, gisant de chair fermé sur l'écho de mon plaisir.

    Mais la mer est loin déjà, la plage immense et vide; mon corps oublié sur le sable qui le blesse sonne creux et lourd des accords d une sonate avortée.


    A la dérobée, j’observe Chris, assis en caleçon et large chemise ouverte à un petit bureau un peu démodé, probablement signé Grange; ses mains habiles et légères volant sur le clavier de son ordinateur.

    Le profil sans défauts du drôle se perd dans un glacis de lumière cérulescente ou s’estompent le nez court et droit, tout retroussé d’impertinence, la grâce sensuelle des lèvres meurtries, le modelé lisse et rond du menton.


    Certes Chris est beau.
    Beau à en mourir.
    A en mourir d’amour.


    Cependant, la joliesse exquise de ses traits porte en elle même sa propre limite ; l’égale monotonie d’un paysage dépourvu d’imagination ou l’on aimerait trouver, dans une brisure infime des lignes, dans un hiatus léger des couleurs, quelque subtile irrégularité propre à en pervertir la pureté.


    _ Christopheeeeeeee !


    Je feule comme un matou en rut.
    Allongé sur le ventre, tout à fait nu; je tends vers lui un bras interminable et tentaculaire.


    _ Christooooopheee , viiiiiiens !


    Il dit " j’arrive.», il dit " attend ", il dit

    " tu n’en as donc jamais assez ».


    Il fait le fier, il fait le fort.
    Il rit de folle adolescence.


    J’ai envie de lui faire rentrer ce rire au plus profond de la gorge.
    Me reviennent alors, comme des chocs, comme des chutes, les images de cette aube fondatrice, de ce premier matin du monde, lorsque nous avons unies nos grâces dépareillées au sortir d’une nuit aussi liquide et translucide que la vodka qui lentement coulait son flux froid dans nos veines. Un café et une orange pressée dans un bar sur le port tandis que les serveurs lavaient les terrasses au jet. Une ancienne rengaine de Pupo à la radio, « Su di noi, encor’una volta, dai, su di noi … ». De grands bateaux à quai et l’absence presque totale de vent.
    Il n y avait pas beaucoup de lumière, pourtant Chris rayonnait, cuirassé d or et d’enfance.


    Se pourrait il qu’il se souvienne de notre promenade dans le dédale du Sottopiazza déserté par les fêtards, de nos corps s accordant au rythme d’un pas égal ; de nos visages argentés se reflétant l' un l' autre; de nos yeux phosphorescents et maladifs trouant l’obscurité projetée par l’escalier sous l’arche duquel nous nous étions réfugiés.


    Moi, je garde la mémoire encore assez émue des lèvres de Chris, presque dures dans mon cou ; sur ma bouche, soudain, vivantes et avides ; des mots qu’il prononça juste après le baiser : " Je crois que nous allons avoir une bien belle fin d’été.»
    L’été de tous nos possibles est terminé, nigaud, voici venir l hiver de nos désillusions.


    « Mauvaise . Graine », figure de fifre, arrête donc de te pencher sur ton passé, tu vas tomber à la renverse ; arrête donc de gâcher ton quotidien à coup de petites cruautés inutiles comme on plante des aiguilles dans une poupée vaudou et puisque l envie te prend de faire un crime ; cours, vole, sauve toi, sauve le.
    Que diras tu aux juges lorsqu’ il faudra raconter, expliquer, mentir encore, mentir toujours ? Christophe avait cessé de me ressembler ? Christophe commençait à me ressembler ?


    Hélas, on ne coupe plus la tète aux pauvres fous.


    Mais enfin, qu’attends-tu de cet amour puisqu’il est médiocre ; puisqu’ il manque d élan, de flamme, de souffle ?
    Il te gène cet amour, il t’embarrasse, il te pèse. Il est aussi naïf et maladroit qu’un dessin d’enfant.
    Rassurant, cependant, il te dit qu’à plus de 30 balais consumés tu es encore capable d’enchanter les rêves Brocéliande d’un plus jeune que toi, d’un plus beau que toi. Il farde d’un doigt d’aurore ton masque exsangue de noceur ; il enlumine ton orgueil de volutes dorées, il charme ton corps rompu pourtant à toutes les indécences, il s’échoue aux douves de ton cœur forteresse.


    Pourquoi Chris a- t- il soudain, alors qu’il se détourne de son écran, ce sourire vague, incomplet, trébuchant sur l’arc souple de ses lèvres avec la grâce hasardeuse d un début de sanglot et que j’aime beaucoup ?


    « -C’est quoi déjà le nom complet de L.A ? Me demande t il.


    Je grommelle pour la Nième fois :

    « -Pueblo de Nuestra Señora la Reina de Los Ángeles del Río de Porciúncula


    Chris frappe son front du plat de sa paume.

    « -Putain, c’est trop naze un blaze pareil ! Jamais je ne le retiendrais. Et même si je le retiens je n’arriverais pas le prononcer.


    Je ramène sur mon sexe en déconfiture les plis d’un drap malmené par nos ébats.

    « -On s’en branle, Christophe. JE m’en branle. Tes clients s’en branlent. Tout le monde s’en branle.


    Aimable la « Mauvaise . Graine » à 5heure du mat, lorsque quasiment à sec de sperme mais point d’idées salaces elle espère tirer sa dernière crampe avant le passage du marchand de sable.


    Et pendant ce temps, au lieu de lui mignoter la friandise, à quoi s’occupe « l’unique objet de son ressentiment » ?
    Croyez-le ou non il surfe sur la toile.


    Pas même sur des sites de cul, pauvre malheureux.
    « Le blog d’un trou à jus », « Le journal d’un sac à foutre », « Les mémoires d’un glory hole », « Xtube », « Porntube » ; pas le style de la maison.


    Que croyez vous qu’il fasse tandis que ma bite mollit, le choupinou favoris de mes noix de Cajou ?

    IL REVISE !


    Le programme de son prochain contrat !
    Los Angeles, California !
    Le « Hollywood Babylon Tour », attrape blaireaux inscrit au catalogue d’un Tour Operateur concurrent de celui qui m’emploie.


    Je vous jure, on colle cette scène dans un film, le scénariste a intérêt d’aller se planquer à Bikini, sinon c’est un homme mort !


    Pleurez Margot ! Ma vie sexuelle est un désert, ma vie sexuelle est un désastre !
    Voilà sans doute pourquoi, j’écris autant de conneries!

     

  • " Profumi di Roma."

    zzzz-j-villa-borghese-05-08.jpgRome Printemps 2008.

    Comme j’avais dû lui faire de la peine.
    Comme je comprenais à présent à quel point ma légèreté, ma désinvolture, mon manque de discernement l’avaient blessé, tandis que mes sourires chagrins, mes baisers roses et melliflus, mes mines de chattemite, mes cajoleries patte pelues se heurtaient à son air cabochard, son mutisme dédaigneux, cette obstination rosse qu’il mettait à éviter mon regard, cet orgueil de commis aux ordres d’un chef calomnieux avec lequel il manœuvrait en cuisine, versant à dose égale et intervalles précis le jus roux d’un bouillon de bœuf dans le caquelon de terre bistre ou achevaient de blondir le riz, le lard, les échalotes, qu’il transmuerait d’une main illusionniste et inspirée en un superbe risotto au Gorgonzola , aux poires et au Gingembre .

    Cocufié, il m’aurait probablement tranché la gorge et balancé encore agonisant dans les eaux brunes d’un Tibre qui n’en pouvait plus de charrier des cadavres tumescents depuis les temps immémoriaux ou Latins, Sabins, Etrusques se partageaient les marécages de la plaine du Latium, hélas nul sang versé ne se montrerait assez abondant, assez noir, assez âpre pour laver l’affront subit.

    Que je revois Julien, dit « Beau. Masque », mon premier véritable grand amour, de passage quelques jours à Rome, que je lui serve de guide dans une ville aux multiples splendeurs et qu’il ne connaissait pas, Silvio pouvait encore, quoique d’assez mauvaise figure, l’admettre. En revanche que j’offris à ce même Julien les trésors insolites, ignorés des touristes comme de certains autochtones, d’une cité interdite aux profanes; secrets protégés, chuchotés, échangés sous le manteau comme ont eut échangé des pamphlets au temps des dictatures, secrets que Silvio dont l’ascendance Romaine remontait, selon ses dires, à Tarquin le superbe, m’avait transmis en gage d’amour eternel, dépassait son entendement comme ses possibilités d’absolution.


    Le plus curieux dans tout cela est qu’il avait envisagé, un instant, de faire lui-même à « Beau. Masque » les honneurs de sa Rome buissonnière, escomptant de manière très Latine que sa présence à nos cotés freinerait des rapprochements qu’il savait impossibles mais que par pur masochisme il s’échinait à estimer probables dés lors qu’entraient en jeu deux épidermes particulièrement réactifs, la douceur imprégnée d’amertume des retrouvailles, les traitrises férocement rayonnantes d’un printemps Italien qui déjà se parait des Gonfalons bravaches d’un été vociférant la promesse orageuse d’une ultime échauffourée. Et puis il s’était ravisé, sans raisons, sans explications, comme il eut plaqué un dernier accord aux touches d’un piano au beau milieu d’un concertino, me mettant en quelque sorte dans l’obligation de prouver sinon mon amour, du moins ma bonne foi en entrainant Julien sur les sentiers balisés des tours opérateurs.

    Il me connaissait bien, pourtant, depuis un an que nous vivions ensemble. Il ne pouvait prétendre ignorer que je ne faisais jamais que le contraire de ce que l’on attendait de moi.

    La jalousie, cependant, le tenaillait moins que la pensée obsédante, cruelle, perfide de savoir partagé par un autre un privilège que je lui devais, un peu à la manière d’un mari berné dont l’épouse se parerait des dessous chics qu’il lui aurait donnés pour séduire un rival.


    Les seules paroles qu’il ait daigné m’accorder à mon retour étaient, en l’occurrence, assez éloquentes.

    « -Tu as toujours ta bague ! Tu ne la lui as pas donnée ? Dommage !

    Cette bague, une topaze montée sur platine, Julien l’avait admirée sans retenir ma main dans la sienne plus longtemps que nécessaire.

    « -Mazette ma chère, il ne te refuse rien ! De mon temps, s’il m’en souvient encore, tu te contentais d’un minable anneau d’argent incrusté de turquoises. Fausses en plus les turquoises, je peux bien te l’avouer maintenant.

    « - Saloperie, tu mériterais que je te traine par la peau des couilles via Bocca di Leone, chez « Versace ».

    « -Toujours aussi cupide, « Mauvaise. Graine » ?

    « - Toujours des oursins plein les poches « Beau. Masque » ?

    Nous commençâmes notre périple par une visite de Santa Maria dell’ Orto dans le Trastevere, une église discrète, étriquée, coincée entre les bâtiments de l’ancien hôpital et les hautes façades d’immeubles modernes, mais dont le petit jardin ou poussent, vertes et vivaces , à l’ombre d’une cote de baleine aussi spectaculaire qu’incongrue, ex voto d’un marin au long cours soigné et guéri en cet hospice, des aromates, de mauvaises herbes et la « Latarella » , cette « terre crépie », sorte de pissenlit sauvage dont ne sauraient se passer les épaisses soupes de pays parfumées à l’os de jambon et à l’échine de porc, est un asile de fraicheur, de senteurs ,de couleurs; le camerlingue un homme exquis érudit, bienveillant ; le maitre autel supportant « La machine des Quarante heures » , structure complexe de bois précieux doré à l’or fin ornée de 213 bougies que l’on allume toutes au même instant le Jeudi Saint , une pièce unique signée Luigi Clémenti.

    Nous marchâmes ensuite une heure durant parmi les rues et les ruelles quasiment désertes en ce tout début d’après midi, interrogeant les symboles cabalistiques qui, aux frontons de certaines arches, portes, gorges ou portières prétendent révéler l’avenir aux Rose-Croix, écoutant le murmure des statues, le silence oisif des fontaines, nous marchâmes jusqu’à la villa Borghèse dont je voulais faire découvrir à Julien le délice Anglais des jardins en terrasses , la grâce frêle et vide du temple d’Esculapes, perdu au bord d’un lac romantique dont les eaux argentées bruissaient ,entre les racines des arbres, comme un refrain d’harmonica, mais aussi et surtout les collections de Scipion Borghèse auxquelles s’ajoutent, non moins remarquables, celles de la famille Aldobrandini.

    Plus qu’aux joyaux de Raphaël , Ghirlandaio, Le Corrège, Botticelli, Bruegel l'ancien, Le Caravage, « Beau .Masque » , Ajaccien poussé , insolent et profane entre les petites rues Sainte Claire et Saint Charles, contre le flanc rose Vénitien de la cathédrale même ou, deux siècles auparavant furent baptisées toutes les futures têtes couronnées d’Europe, se montra sensible à la nudité altière ,opulente , scandaleuse , de cette « vénus Impériale » due au ciseau d'un Canova inspiré par le charme sans égal de la princesse Pauline Borghèse née Paoletta Bonaparte, elle qu'avec indulgence et affection l'Empire surnommait "Notre Dame des colifichets » , elle ,la plus belle et, au grand dam de son auguste frangin ,la plus chaude femme de son temps, l’éclat nacreux du marbre blanc peinant d’ailleurs à tempérer, l’obscure aura de prédatrice sexuelle et la plantureuse sensualité Méditerranéenne du modèle .

    De la Piazza Napoleone ou nous nous trouvions, nous dominions, du Champs de Mars jusqu’à l’Aventin, la ville entière.

    Rome s’étendait à nos pieds, immense et lascive, austère et solennelle comme les longues limousines noires glissant silencieuses le long des artères du Vatican, vulgaire et hâbleuse telles les putains callipyges offrant leurs charmes bruns et laiteux , leurs rires éraillés de filles folles aux berges du vieux fleuve.

    Des hauteurs du Pincio, un escalier déboulait jusqu’à la piazza Del Popolo qui n’est pas selon l’idée reçue la « Place du Peuple » mais la « place du peuplier » puisque selon la légende un peuplier y poussa à l’emplacement du mausolée de Néron.

    Négligeant l’obélisque en granit rose d’Héliopolis et les églises jumelles de Santa Maria di Montesanto et Santa Maria dei Miracoli, j’entrainais un « Beau. Masque » déjà fourbu et gavé de bondieuseries, vers un espace de détente, de plaisir, d’harmonie que Silvio et moi, tous nos sens en émoi, visitions au moins une fois par semaine, « l’Olfattorio » de la via Repetta, à ma connaissance le seul bar à parfums au monde.

    Dans un décor épuré au froid tapi d’aluminium blanc, la boutique, crée par les sympathiques Renata De Rossi et John Gaidano ,offrait aux nez musards le privilège de s’émouvoir de plus de deux cent « essences absolues », permettait dans son grand Olflatorium, véritable conservatoire du parfum, d’assister à des cours professionnels n’excluant pas les profanes et de savourer au mini bar dans des calices de papier montés sur de fines tiges de plastique translucides les sortilèges d’arômes complexes aussi enivrants que cette « part des anges » que l’on respire à la frange châtaine des grands Cognacs .


    On venait à l’Olfattorio, pour y siroter une flute de mures d’été et de musc patchouli, une coupe de poussière de roses au cœur automnal de fruit secs et de pétales doucement fanant sur un fond de cannelle et d’encens, un grand verre de diabolo rose, pétillant de toute la verve de la menthe poivrée et de la Bergamote de Sicile , comme en un five o clock dans le boudoir d’une cocotte , une tasse de rose praline aux accents chaleureux de chocolat noir et de Lapsang Souchong ou, masculin en diable, un cocktail de citron , de vanille , de mandarine et de cuir, mais aussi pour y choisir , voire y composer un parfum de circonstance ; celui d’un premier rendez vous ou d’un dernier baiser.


    Ravi comme un gourmand dans une chocolaterie, « Beau .Masque » oiselait de terres d’épices en jardins imaginaires, voyageait de Badiane Chinoise en Frangipane de Calabre, redécouvrait la saveur lactée des premières figues, le gout poisseux des tartes à la confiture, s’illuminait d’ambre gris et du velours noir des tubéreuse, tandis que j’échouais à retrouver le « chaud –froid » mordant , les soleils de glace de cette eau de violettes et de piments , d’Absinthe et d’Angéliques, crissant de cassis bleu, crépitant d’aiguilles de pin que j’aurais aimé offrir à Silvio en gage de reddition .

    Certains couples se séparent à cause d’un mensonge, d’une trahison, d’autres par lassitude ou par ennui, Silvio et moi nous sommes quittés pour l’insolente simplicité d’une note éblouie de mimosa, de mandarine rouge et de bois blanc qu’un « Beau. Masque » taquin déposa derrière mon oreille et sur mon cou, mouche au rosier.

    Mais qu’importe la raison ou l’absence de raisons puisque je ne regrette rien.

    Silvio ne m’aimait plus et Julien était beau.